Dans les années 80, face aux dérives de l’industrie pharmaceutique, des écoles privées se sont créées afin que perdurent les savoirs de l’herboriste, l’ARH a vu le jour en 1983 : ce nom « Association pour le Renouveau de l’Herboristerie » est évocateur de l’espoir et la revendication d’un retour à une reconnaissance du métier d’herboriste par les pouvoirs publics.

Solange Julien  a connu les débuts de l’association.

Bretonne et spécialiste des algues, infatigable curieuse de la nature et de ses trésors, enseignante depuis plusieurs années à l’ARH-IFH, Solange retrace pour nous la grande aventure que fut la création de l’Association pour le Renouveau de l’Herboristerie, et nous raconte ses passions liées au végétal, ainsi que son itinéraire professionnel, riche en rencontres décisives.

Bonjour Solange, quelle formation as-tu suivie initialement ?

Solange Julien : Après le bac je ne savais pas quoi faire. Je suis retournée chez mes parents agriculteurs en Bretagne près de Rennes. Et puis un beau jour j’ai assisté à un salon de l’orientation, il y avait des infos sur les formations. C’était une époque où on organisait des stages verts dans les villes pour les particuliers, et jai découvert à ce moment-là une formation aux techniques du paysage. J’ai donc repris mes études pour trois ans au Centre d’Etude des Techniques de Paysage dans le Val d’Oise, dans un joli château du XVIIIe siècle, entre 1971 à 1974.
On faisait de la botanique, des cours de français, des maths, de l’économie. Évidemment de la topographie, des relevés de terrain, des dessins, des maquettes, des plans de jardin, on avait des cours sur les plantes cultivées etc. L’idée était de devenir apte à faire des plans de jardin à destination des particuliers au cœur des villes.

D’où t’est venu cet intérêt pour les plantes ?

C’était quand je suis revenue sur le domaine agricole familial. Je profitais de la campagne pour faire du sport, de l’athlétisme, du cross country, et je courais sur le terrain autour de la ferme. Je me suis aperçue au fur et à mesure que j’aimais beaucoup l’odeur du terrain, l’odeur du foin, de la nature, et cela a été un déclic. Ce temps calme passé chez mes parents m’a finalement permis de comprendre que j’étais faite pour une formation, semi-bureau, semi-terrain… Le Centre d’Etude des Techniques de Paysage était situé dans un lieu complètement entouré de forêts, et j’avais trouvé un petit livre sur les fleurs des prés et les fleurs des champs, et le week-end quand on pouvait, on allait se balader avec des amies de la formation, et j’ai décidé à ce moment-là de m’intéresser à la reconnaissance des plantes.
Cette formation de trois ans terminée, je suis devenue responsable des anciens élèves. Puis, grâce à l’office Franco-allemand, je suis allé travailler en entreprise en Allemagne, pour faire des plans de jardin pendant deux ans. Je suis ensuite devenue enseignante dans les Yvelines, un poste que j’ai conservé pendant 29 ans. Entre-temps, j’avais créé ma petite entreprise d’espaces verts. pour résumer, je suis toujours restée dans le végétal, qui est la ligne de conduite de toute ma vie.

Dans les Monts d’Arrée, de l’œnanthe en forêt, en bord de mer

Et l’ARH ?

Quand j’enseignais, j’allais au CDI avec mes élèves, et j’ai vu dans une revue « l’Horticole », un encart « Formation de plantes aromatiques et médicinales ». Ça m’a interpellée ! Dans mes cours, j’enseignais l’écologie, la parasitologie, la biologie végétale, l’agronomie, les plantes dites « mauvaises herbes », les herbiers. J’ai aussi fait des formations diverses : plantes de la garrigue, la géologie du sud, j’ai été toujours attirée par les plantes méditerranéennes, les lichens etc. Et les plantes aromatiques et médicinales m’ont tout de suite intriguée et j’ai eu besoin d’en savoir plus. Je me suis rendue au « Salon du Bien-être » pour rencontrer les gens de cette association, qui y avait un stand. J’y ai vu un press-book ouvert, qui détaillait les animations organisées par l’ARH. J’ai appris que Maryse Tort, enseignante en Auvergne, qui une chaire de botanique faisait partie de cette association. Paulette Daumas qui tenait le stand m’a demandé ce que je faisais, elle cherchait des enseignants.

La Montagne, parution du 16 juillet 1990.

Je lui ai dit que j’enseignais depuis 1978 dans le Val d’Oise. L’ARH avait pour projet de mettre en place une formation de 2 ans, mais pour l’instant ne proposait que des mini-stages de botanique. Mon souhait était d’animer, pas plus. Paulette Daumas m’a permis de rencontrer Maryse Tort lors de son prochain passage à Paris. Aux alentours de 1982, Maryse Tort, après des questions d’usage sur mon parcours, me propose de devenir son adjointe pour les sorties botaniques de l’ARH. Et tout a commencé comme ça. Je lui suis reconnaissante parce qu’elle a su transmettre et en même temps elle a pris le risque d’embaucher de nouvelles têtes. Erika Lais était présidente, je ne l’ai connue que une année ou deux, il me semble qu’elle travaillait à l’Herboristerie du Palais Royal à Paris, et je pense que c’est comme ça que les choses se sont enclenchées. J’ai commencé la formation ARH en 1988 et terminé ma deuxième année en 1990. Nous étions 13 dans cette promotion. Eric Vallé et Jean-Pierre Nicolas faisaient partie de cette promotion.

Promotion de l'ARH 1988-1990.

J’ai un petit press-book avec des coupures de journaux, des documents de l’ARH de cette époque ainsi que des photos. Avant que ne débute la formation en 2 ans proprement dite, l’ARH proposait des petits stages aux adhérents. J’ai fait en juin 1986 un stage d’initiation à la botanique, organisé par Maryse Tort et M. Laurent au Velay. D’autres stages étaient proposés un peu partout en France : comme la flore du Périgord Noir… J’ai proposé de faire pour l’ARH une sortie en région parisienne tous les mois, sur les plantes médicinales. J’en ai organisée à la Roche-Guyon. En 1988 Maryse tort, qui était également formée en biologie marine, décide de mettre en place pour les adhérents de l’ARH une sortie de 3 jours à Roscoff sur l’algologie. Moi qui, bretonne, ne connaissais encore rien aux algues, évidemment cela m’a intéressée. Maryse Tort m’a demandé à la fin du stage d’organiser moi-même ce stage l’année suivante. J’ai émis des doutes sur mes connaissances, j’étais bretonne de naissance mais je vivais en régon parisienne ! mais qu’à cela ne tienne, cela n’a pas perturbé Maryse Tort qui m’a inscrite pour une formation à l’Institut de Recherche des Algues ! J’ai décidé à la suite de cette formation de suivre une Licence de Biologie des Organismes et des Populations, dont une majeure partie était consacrée aux algues, pour être encore plus pointue dans le domaine. En 1992, de retour du Guatemala j’ai organisé dans les Monts d’Arrée, une initiation à la Botanique. Et à partir de là, j’ai commencé à organiser des stages d’algues pour l’ARH, et aussi en dehors de l’ARH, pour Cap-Santé par exemple. Et je n’ai jamais arrêté.

Quelques pages du Bulletin de liaison de l’Association pour le Renouveau de l’Herboristerie, octobre 1986.

J’ai animé beaucoup de stages pour l’ARH : En 1991, dans la Drôme, en1994, en Normandie, en 1995, un stage « Algues et plantes sauvages », etc… ensuite j’ai fait des classes « Environnement » pour mes élèves, en 1997 à Belle-Île-en-Mer, et avec d’autres formateurs « Cuisine, Yoga et Herboristerie », sur les plantes méllifères en région parisienne. En 1998 j’ai commencé une formation de 2 ans , une fois par mois à Bobigny, un DU de « Phytothérapie, aromathérapie, conseil et information ». J’étais la deuxième de l’ARH à faire cette formation, et c’est là que j’ai rencontré Marie-Jo Fourès. On pique-niquait à midi et on discutait ensemble, on s’est rendues compte que l’on connaissait toutes les deux Jean-Pierre Nicolas. J’ai appris qu’avec Marie-Jo ils venaient de créer Cap-Santé en Bretagne, et qu’ils cherchaient une enseignante de botanique. Marie-Jo avait eu vent de mes connaissances en botanique par d’autres étudiants. Les cours de l’ARH, sur les flavonoïdes entre autres, m’avaient énormément servi pour ce DU, mais cette formation avait des manques en botanique. J’avais cueilli quelques plantes dans la cour attenante aux bâtiments de la formation, que j’avais déposées sur le bureau du prof. Ça lui avait bien plu et à la suite de ça je lui fournissais des diapos pour mieux documenter le cours de botanique. D’ailleurs les étudiants, médecins ou futurs médecins désirant se former à la phytothérapie, avaient besoin de connaissances plus complètes en botanique.

Donc suite à cette rencontre avec Marie-Jo, j’ai mis en place des animations à Cap-Santé et aussi pour d’autres associations ou des écomusées pendant mes vacances scolaires ou quand je le pouvais, sur la gemmothérapie, les algues, tout en continuant bien sûr mes animations pour l’ARH etc. Quand la FFEH a été créée, pour ne pas être au four et au moulin, j’ai choisi l’ARH. il faut souligner que le vivier de profs de Cap-santé a été en grande majorité formé à l’ARH. Avec Ferny nous avons pris l’habitude chaque année de présenter l’ARH à la Fête des Simples.

Et aujourd’hui. Tes stages en Bretagne ?

J’en fais tout le temps ! Quand il s’agit des stages pour l’ARH, en plus de la formation, »Algues marines » par exemple, qui est un stage de 4 jours, j’en fais une à deux fois par an en fonction de coefficients de marée ; idéalement de 100 à 110 sinon ce n’est pas intéressant. J’essaie de faire venir la presse locale, de faire un peu de publicité pour l’ARH par la même occasion.

Des sorties botaniques ?

Je n’ai jamais arrêté d’en faire. Il m’arrive d’ouvrir mon jardin, qui est bien fourni. Sinon pour ma commune, des sorties pour tous publics sur des sentiers botaniques, sur les plantes de bord de mer, les algues marines, les plantes aromatiques et médicinales, les épices… J’ai mis en place une animation un peu « théâtrale » avec une amie conteuse et potière, dans une jolie maison du XVIe siècle. Sur les plantes cosmétiques ou vénéneuses, sous forme de jeux… cela permet de représenter la botanique d’une manière différente. je suis constamment sur le terrain. Je suis intervenue récemment à Belle-Île-en-Terre, pour l’association « Eau et Rivière », avec une animation tous publics.
Je viens de créer tout récemment ma micro-entreprise « Floreanim », et j’ai créé ma page Facebook.

Stage d’algologie pour l’Association pour le Renouveau de l’Herboristerie, 2011.

Est-ce que le long de ces années tu as remarqué une évolution dans la prise de conscience du public, par rapport aux bienfaits des plantes ?

Oui, oui, oui, oui et oui !
Je m’aperçois de plus en plus que les gens connaissent de moins en moins le végétal ; Quand j’étais à Cap-Santé, comme on avait des élèves de tous les âges, jeunes et moins jeunes, on s’apercevait qu’il y avait une rupture de connaissance entre les grand-parents, nés dans les années 20, et les parents, nés dans les années 40/50, qui avaient quitté les campagnes pour aller travailler en ville. Mais actuellement, je vois avec mes animations, et c’est flagrant, des gens de 30/40 ans qui ont des jardins, mais qui ne savent pas quoi faire avec les plantes. Une petite fille récemment m’a dit « J’ai appris plein de choses avec vous, du coup j’ai décidé de devenir infirmière quand je serai grande » Il y a clairement une prise de conscience aujourd’hui, et les gens veulent se raccrocher à la terre, veulent avoir un peu plus les pieds sur terre, se reconnecter à la terre. Je me souviens d’une jeune femme, du temps ou l’ARH avait son siège à Paris, qui était avocate. Elle m’avait dit qu’elle avait arrêté sa formation en droit, que son mari n’était pas d’accord. Elle me disait : « Ce que fais est hors du temps, je me rappelle ma grand-mère qui m’apprenais les plantes des bois, les fraises, et je veux avoir les pieds sur terre. »

Une entreprise vient élaguer les arbres de mon jardin. J’ai décidé d’étudier les insectes dans mon jardin J’ai montré des insectes sous mon binoculaire aux élagueurs, qui m’ont proposé, étant au contact des arbres toute la journée, d’être attentifs et de m’aider à documenter mes recherches ! J’étudie sans cesse la faune, la flore et les vieilles pierres dans ma commune du nord Bretagne.
J’ai commencé par la biologie végétale, pour ma formation de paysage, puis j’ai fait de l’agronomie, de l’écologie, et je me rends compte qu’en fin de compte on est comme un meuble, on a des tiroirs, on a engrangé au fil de la vie, plein de choses, on ne sait pas sur le moment si c’est intéressant, mais on s’aperçoit à la fin que si : toute connaissance finit par nous servir : on comprend le sol, la plante, le biotope, et finalement cela sert, et l’on peut transmettre.

Est-ce qu’il y a encore des choses nouvelles que tu aimerais étudier ?

Je n’arrête pas ! en ce moment je me penche sur cette problématique : pourquoi les insectes sont attirés par les couleurs ou les odeurs des plantes. J’ai pris en photos d’insectes de mon jardin, et j’ai fait un tableau avec les données : la date de prise de vue, l’heure, le type de bestiole. J’ai quand même du beau monde chez moi ! et je m’aperçois que tel insecte visite toujours telle plante, etc. Les couleurs, les odeurs, le toucher, sont des choses auxquelles j’ai toujours été sensible.
Dans mon jardin j’ai étiqueté le nom français et breton des plantes. il existe déjà un lexique de plantes français-breton. Mais je voudrais faire l’étymologie des mots bretons : par rapport au lieu, à l’habitat, à la forme de la fleur ou aux soins particuliers d’autrefois, prodigués avec la plante.
L’idée serait de faire un petit document pour la commune. Toujours dans l’idée d’une transmission : comme je dis toujours, « on ne doit pas garder le « si peu « que l’on sait, on doit être humble, on ne connaît pas tout ! » Moi, apprendre de nouvelles choses me permet d’avancer et d’ailleurs durant les stages, on rencontre des gens qui en savent plus que nous, et eux aussi te font avancer ! si tu étudies toujours les mêmes choses, tu ne fais pas d’efforts et tu n’avances plus ! Il faut partir du terrain, des sensations sur le terrain, pour arriver à la théorie, et pas le contraire.

Merci beaucoup Solange.

Solange Julien

36 rue de la Halte
29670 Henvic

Tél : ‭02 98 62 81 19‬